Semantic tramps, 2008

"Le reportage que [Christophe Beauregard] a consacré aux SDF est tellement vrai qu’il est faux. Ces hommes et ces femmes sont des acteurs, les stigmates de la dèche sont du maquillage, et leurs habits salis, des costumes. Christophe Beauregard a effectué des repérages, organisé les prises de vue, discuté du “personnage” avec les acteurs. (…) Ce qu’il souhaitait, perclus de doutes au point qu’il faillit abandonner son projet, c’est «mettre en crise» la perception. «Il ne s’agit pas pour moi d’un travail compassionnel, d’une volonté de rejeter la réalité, mais à partir d’une écriture photographique, de confronter un état du langage à un état de la perception.» (…) Ce que le photographe a entrepris a l’allure d’un roman ou d’un film." Gérard Lefort, extrait de Misère en scène, Libération du 21 août 2007.

De ces rencontres et de ces longues discussions avec les acteurs sont lentement nées des images, des compositions et des histoires. Habillés et maquillés pour la photographie, ces hommes et ces femmes ont tous été placés au plus près du sol. Leurs postures et leurs gestes font signe. Certains sont allés jusqu’à utiliser les techniques traditionnelles du jeu d’acteur.

« Le corps est au cœur de l’œuvre de Christophe Beauregard. Mais un corps toujours scénographié, voire théâtralisé, jamais saisi selon les règles obsolètes de l’instant décisif ou les codes d’urgence du photoreportage », écrit la spécialiste de la photographie Dominique Baqué.

Corps scénographié, théâtralisé : on ne peut mieux dire s’agissant de la série photographique Semantic Tramps (« Clochards sémantiques », 2007), qui fit date et fit à son heure polémique. Que montrent les images ? Des Sans Domicile Fixe dans des postures peu avenantes : prostrés à même un trottoir, éberlués et peut-être alcoolisés, sales… Le photographe n’en rajoute pas mais le message passe – la situation sociale du SDF, pour sûr, n’est pas enviable.

Polémique, pourquoi ? Christophe Beauregard, pour “Semantic Tramps”, ne « shoote » pas de vrais SDF dans la rue mais fait poser des comédiens. Attitude indigne ? « Mon indignation est née justement d’un sentiment d’abandon », argue-t-il. Encore ? « Faire des photos de clochards, je peux, et j’arriverais éventuellement à les vendre si l’actualité le permet. Et puis après ? Je laisse retourner ces hommes et ces femmes à leur saleté et à leur souffrance ? » Voler l’image de l’autre, faire un commerce de la misère du monde ? « Je ne suis pas sûr que ce soit très clair non plus ».

Le titre de la série, « Clochards sémantiques », s’éclaire du coup de lui-même : ces clochards que montrent les images ne sont pas d’abord des figures de SDF mais une leçon de grammaire, la grammaire même du cliché. Comment se représente-t-on le SDF ? Non comme un individu se maintenant à sa manière propre au sein du corps social, voire pouvant faire de l’exclusion une formule identitaire (« je suis exclu donc je suis »), mais comme une victime de statut indifférencié servant d’épouvantail médiatique, sans plus. Une « sémantique », pour le moins, un peu courte. Cette réduction du sujet qu’est le SDF à son plus petit commun dénominateur sociologique n’est peut-être pas fausse. Elle n’en est pas moins désubjectivante, caricaturale sans doute et humiliante assurément. Paul Ardenne, écrivain et historien de l’art.

Publications :
2008 Semantic tramps, 13 photographies, texte inédit d’Arlette Farge, 40 pp, Editions FILIGRANES

Interview sur Youtube

13 photographies couleur tirages C-print contrecollés sous plexiglass
90 cm x 90 cm, édition de 3 + 2 EA
50 cm x 50 cm, édition de 5 + 2 EA

Semantic tramps. Prix catalogue

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